Dr Hashim Hounkpatin, de l’hôpital à l’écriture : un engagement sans fin

« Quand je signais pour faire des études de médecine, ce n’était pas le futur que j’entrevoyais…»

‘’ Médecin autrement’’, c’est plutôt le titre qui convient à Hashim Hounkpatin. Il n’a pas hésité, en tout depuis de carrière, à sortir du carcan traditionnel du médecin pour apporter plus de soutien à sa communauté. De la médecine préventive à l’écriture, son seul objectif est de contribuer à bâtir des communautés fortes.

Docteur Hashim Hounkpatin

Vous voudriez-vous présenter à nos lecteurs s’il vous plait !

Je m’amuse à dire que je fais de la maintenance sur la machine la plus extraordinaire qui existe : vous ! Je suis médecin chercheur, spécialiste de médecine préventive et de toxicologie.  J’ai co-fondé Arayaa, une plateforme d’alphabétisation médicale de masse utilisée par plus de 30.000 personnes chaque mois en Afrique francophone pour prendre de meilleures décisions pour leur santé. Je suis alumni du très prestigieux Women Deliver Young Leaders Program et du programme Jeunes Leaders du Bénin de la Fondation Friedrich Ebert.

Vous êtes connu pour votre engagement dans le domaine citoyen. Quelles sont les activités que vous y menez ?

Je vous parle tout d’abord de notre plateforme Arayaa. Arayaa est une plateforme d’informations médicales dédiée à la population béninoise et africaine. Elle est animée par des médecins, des sages-femmes, des infirmiers, des kinésithérapeutes, par des professionnels de la santé aussi bien du Bénin que d’autres pays africains. Les gens qui viennent y lire une information médicale peuvent poser des questions concernant ce qu’ils ont lu, faire part de leurs préoccupations, poser des questions en dehors de ce qui est déjà sur la plateforme et trouver des réponses de la part d’un professionnel de la santé. Nous proposons également des modules de formation thématique en ligne et présentiel.

Pourquoi ces actions et initiatives constituent-elles pour vous des priorités ?

Quand je signais pour faire des études de médecine, ce n’était pas le futur que j’entrevoyais. L’écart entre le magicien en blouse blanche immaculée de mon ima­ginaire chez qui on venait en souffrant, de chez qui on repartait en riant et l’horreur de la réalité était af­freux. J’ai regardé des patients mourir parce que je n’avais pas les ressources techniques/financières pour les sauver, sachant exactement ce qu’il leur fallait. J’ai vu des enfants signer une décharge pour faire sortir, contre avis médical, leur mère en plein milieu d’un coma parce qu’ils étaient à court d’argent. J’ai vu des personnes à qui il manquera toujours deux dents parce que l’entourage a introduit de force une cuillère dans leur bouche pendant qu’elles convulsaient. J’ai vu des mères mettre dangereusement la vie de leurs enfants en danger parce qu’elles leur avaient servi de l’huile rouge ou du lait après que ceux-ci eurent accidentellement ingéré du pétrole. J’ai vu des mères faciliter la perfora­tion de l’œsophage de leurs enfants en essayant de les faire vomir après la prise accidentelle de soude caus­tique etc.

Chacun de ces drames (qu’on aurait pu prévenir) laissait en moi une empreinte qui affectait sérieuse­ment ma santé mentale. J’ai passé plus de deux ans sans mettre les pieds dans un hôpital ni exercer la médecine. J’ai pris du temps pour mieux me sentir et trouver com­ment résoudre ce problème. Je n’ai pas mis longtemps à trouver une solution : la prévention. Nous ne nais­sons pas avec la plupart des maladies. Elles viennent souvent d’une mauvaise adaptation à notre environne­ment, au sens très large du terme. Et même celles avec qui certains d’entre nous naissent peuvent être influen­cées par l’environnement. J’ai développé ma compré­hension et mon expertise du sujet au contact d’experts de presque tous les coins du monde.

Comment emmener les outils de prévention à mon­sieur et madame Tout le monde ? Simplement en les édu­quant, en leur montrant comment…Mais pourquoi continuons-nous à voir tous ces drames cités plus haut ? Parce que nous manquons souvent de transformer les connaissances en actions. Nous postulons que les bonnes informations, données aux individus leur permettent de prendre de bonnes décisions pour leur santé et celle de ceux qui comptent pour eux, et donc de rester plus longtemps en bonne santé.

 Pouvez-vous énumérer quelques impacts clés de ces actions ou projets ?

Nous avons eu à mener des campagnes vers les zones reculées pour pouvoir sensibiliser et impacter le plus de monde sur la santé. Ainsi 30.000 personnes utilisent chaque mois Arayaa pour rester en bonne santé, nous assistons chaque mois 100 personnes en moyenne à travers des conseils et des orientations, nos productions livresques ont déjà été achetées et utilisées par plus de 2000 béninois avec des retours très satisfaisants, récemment, nous avons sensibilisé plus de 800.000 personnes grâce à notre campagne contre les violences domestiques en partenariat avec Plan International.

Ce n’est pas courant de voir un médecin dans l’engagement citoyen tel que vous le faites.  Dites-nous comment c’est arrivé ?

Tout le monde s’accorde sur le fait que l’Afrique, c’est le continent du futur. Et pour construire ce futur que nous entrevoyons, nous avons besoin de ressources humaines, de citoyens africains et béninois qui ne sont pas diminués par la maladie. C’est dans cet esprit que Arayaa a décidé de leur apporter le pouvoir de l’information de santé, pour que cette population puisse prendre de meilleures décisions en ce qui concerne sa santé et en ce qui concerne la santé de ceux qui comptent pour elle. L’autre raison très importante est que nous sommes dans un espace, dans un pays, sur un continent où les populations n’arrivent pas toujours à assumer les dépenses liées à leur santé. Malheureusement, nous recevons à l’hôpital des gens qui viennent à des stades avancés de maladies.

Mais pour répondre de façon plus spécifique, je pense que nous vivons dans une société avec beaucoup de dimensions pour qu’un individu toute sa vie se réduise à ne faire que ce qu’il a appris à l’école.

Quels sont les obstacles que vous rencontrez généralement dans la concrétisation de vos initiatives citoyennes ?

Les ressources sont les défis les plus importants en travers de notre chemin. Les personnes avec lesquelles nous travaillons le font à titre bénévole et ont une disponibilité limitée. Nous avons également besoin de ressources techniques et financières pour soutenir le développement de nos plateformes numériques et nos activités.

Un autre défi est la mise à l’agenda dans les politiques nationales de la prévention et de l’éducation de la population à être de véritables acteurs de leur santé et non des bénéficiaires passifs de soins quand elle tombe malade.

Les médecins sont sur la première ligne de lutte contre la COVID19 ; comment vivez-vous cette période depuis le démarrage de la pandémie ?

En vérité deux virus se propagent actuellement : celui de la COVID-19 et le virus des fausses informations. Le vaccin pour les deux ? « La bonne information. » Nous sommes sur ce front avec Arayaa et un consortium de producteurs de contenus liés à la santé pour organiser un Tweetchat sur la manière de se protéger contre la COVID-19. Notre hashtag #AgirContreCOVID19 a atteint plus de 90 000 internautes à ce jour. En outre, Arayaa a mis à la disposition du public l’application ANTICOR (pour ANTI-CORonavirus) pour s’informer et faire son auto-test. Nous sommes évidemment aussi présents sur les fronts cliniques et de la recherche. Les conditions de travail sont parfois rocambolesques. Gestion du flux de patients dans la salle d’attente, les difficultés ne manquent pas pour faire tourner la clinique. Pour y parvenir nous n’hésitons pas de bousculer nos habitudes. Je coordonne enfin une quinzaine de projets de recherche autour de la COVID-19 pour le centre de recherche en reproduction humaine et en démographie.

Vous écrivez également des livres sur des sujets ayant rapport à la santé. A quand votre prochaine publication ?

Mon premier livre publié en 2018 est intitulé Tout le monde a des hémorroïdes et a été vendu à plus de 2000 exemplaires. Beaucoup de lecteurs me disent carrément qu’il leur a sauvé la vie.  Mon prochain livre porte sur le diabète et  est nommé Soyez plus fort que le diabète ; j’y ai expliqué de long en large la maladie de diabète, et y ai fait le point de plusieurs solutions de gestions de la maladie, des plus anciennes aux plus révolutionnaires.

Quel appel avez-vous à l’endroit des jeunes qui comme vous sont engagés pour le développement durable ?

Je dirai simplement aux jeunes de se donner à fond, même si, c’est difficile. Dans la mesure où les objectifs de développement durable sont une problématique mondiale et intergénérationnelle, ils ne pourront non plus être atteints sans la mobilisation et l’implication des jeunes.