« Il est temps que les dirigeants africains demandent des modèles économiques qui conduiront à l’éradication des MTN et qu’ils s’engagent à les financer de manière adéquate…»
Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) organise du 27 au 30 novembre 2023 à Lusaka en Zambie, la 3ième édition de la Conférence internationale annuelle sur la santé publique en Afrique (CPHIA). A la veille de cet événement majeur pour le continent, Dr Thomas Nyirenda, Chef du Bureau Afrique, Partenariat des pays européens et en développement sur les essais cliniques (EDCTP), basé en Afrique du Sud, a accepté nous parler de cette conférences et des enjeux liés à l’éradication des MTN .
Bonjour Docteur. Nous vous remercions d’avoir accepté accorder cette interview à notre journal. Dites-nous, quels sont les pays africains dans lesquels les Maladies Tropicales Négligées (MTN) sont plus répandues ?
En général, l’Afrique (principalement l’Afrique subsaharienne) représente environ 40 % du fardeau mondial des MTN, avec quelque 600 millions de personnes nécessitant un traitement. Ces maladies apparaissent et réapparaissent, de sorte qu’il n’est pas possible, d’un point de vue scientifique, de dire quel pays est le plus touché. Les MTN les plus courantes en Afrique sont les suivantes : l’Ulcère de Buruli, la maladie de Chagas, la Dengue et le Chikungunya, la dracunculose, l’Echinococcose, les Trématodoses d’origine alimentaire, – la Trypanosomiase humaine africaine, la Leishmaniose, – la Lèpre, la Filariose lymphatique, le Mycétome, Chromoblastomycose et autres mycoses profondes, Onchocercose, – la Rage, la Gale et autres Ectoparasitoses, Schistosomiase, Helminthiases transmises par le sol, – Envenimation par morsure de serpent, Taeniasis/Cysticercose, – Trachome et les Pattes d’Oie.
Le Togo a réussi à éliminer quatre maladies tropicales négligées (MTN), devenant ainsi le premier pays à atteindre un tel niveau de performance. Comment tirer parti de ces progrès au niveau continental pour inspirer d’autres pays africains ?
Les pays africains devraient apprendre les uns des autres. Les différences d’histoire politique, de statut socio-économique, les différences géographiques et la variabilité génétique sont quelques-uns des facteurs qui rendent difficile la généralisation de l’applicabilité d’interventions efficaces d’une région africaine à une autre. Mais une fois qu’une intervention fonctionne dans une région africaine, les autres régions ont la possibilité d’adapter et d’adopter des éléments qui fonctionneront dans leur contexte. C’est là que le CPHIA23 est une occasion de partager ces expériences et ces motivations.
La feuille de route mondiale de l’OMS sur les Maladies Tropicales Négligées 2021-2030 vise à réduire de 90 % le nombre de personnes nécessitant un traitement et de 75 % les handicaps directement associés à ces maladies. Cet objectif est-il réalisable compte tenu de la crise financière que traverse actuellement la lutte contre les MTN ?
L’objectif est réalisable. Ce qu’il faut, c’est un programme et une approche à l’échelle du continent qui donnent la priorité à la réalisation des objectifs. Le financement local est aussi important que le renforcement des capacités des communautés à s’approprier les processus.
Comment l’Union africaine et ses institutions de santé publique veillent-elles à ce que l’accès au traitement des MTN soit équitable dans les différentes sous-régions d’Afrique ?
L’Union africaine offre un environnement propice à différents acteurs complémentaires pour améliorer l’accès au traitement des MTN. Des partenaires comme DNDi, Medicines 4 Africa, les entreprises pharmaceutiques et d’autres ont une forte empreinte en Afrique. Les progrès réalisés en matière de fabrication locale sont un exemple de processus supplémentaires appartenant à des acteurs locaux et contribuant à l’accès futur aux traitements que les patients africains méritent.
La déclaration de Kigali sur les MTN a été publiée l’année dernière. Un an après cette déclaration, peut-on dire que les engagements pris par les parties prenantes ont permis de progresser dans la lutte contre les MTN ?
Un an est une période très courte pour juger pleinement des résultats d’une telle déclaration. L’Afrique doit rallier ses partenaires à cette déclaration et continuer à évaluer son impact en fonction des résultats à court, moyen et long terme, car ce qu’il faut, ce sont des programmes durables et non des gains à court terme et non durables.
Pouvez-vous citer quelques valeurs ajoutées ou solutions spécifiques que le CPHIA 2023 apportera à la lutte contre les MTN sur le continent africain ?
Le CPHIA apportera une valeur ajoutée en termes de révision des stratégies actuelles et d’alignement des pensées sur les défis émergents sous la forme de la résistance aux antimicrobiens (AMR), de défis pour le déploiement des vaccins déjà développés contre les MTN et d’amélioration des outils de diagnostic des MTN pour un meilleur traitement des cas diagnostiqués avec précision.
Nous sommes à la veille de CPHIA 2023. Avez-vous une demande spécifique à adresser aux dirigeants africains et aux autres parties prenantes pour qu’ils fassent de la lutte contre les MTN une priorité pour tous les pays africains ?
Il est temps que les dirigeants africains demandent des modèles économiques qui conduiront à l’éradication des MTN et qu’ils s’engagent à les financer de manière adéquate. Ils devraient également s’engager à briser les barrières géographiques entre les pays lorsqu’il s’agit de contrôler les maladies. Pour une meilleure lutte contre les maladies, les ressources financières et humaines ne devraient pas être limitées dans leurs mouvements par des barrières artificielles à l’immigration, tout comme les agents pathogènes eux-mêmes qui traversent librement les frontières.
Merci à vous Dr Thomas Nyirenda
Interview réalisée par D. Aboudou AGRO