Conaïde AKOUEDENOUDJE, l’autre bout de l’avenir de la défense des droits humains au Bénin

« J’éprouve une satisfaction particulière lorsque je prends action en faveur de ces prérogatives dont nous devons toutes et tous jouir du simple fait que nous sommes des êtres humains. »

Actif mais également très dynamique, Conaïde et ses actions se pointent en première ligne lorsqu’il s’agit d’évoquer la jeunesse engagée pour la défense des droits humains au Bénin. Il allie talent, éloquence et efficacité pour donner à chaque béninois la chance de réaliser ces droits. Votre journal vous emmène à sa rencontre.

Bonjour monsieur, vous voudriez vous présenter à nos lecteurs s’il vous plait !

Je suis Conaïde AKOUEDENOUDJE. Juriste, spécialiste en droits humains et démocratie. Je suis également défenseur des droits humains. En tant que tel, je milite au sein de plusieurs associations (Amnesty International Bénin, Centre de Formation en Mécanisme de protection des droits humains, Association des Blogueurs du Bénin…), où je contribue à la défense des droits humains, à des niveaux importants. J’interviens également en tant que consultant et/ou formateur au sein de la société civile béninoise. Sur le plan scientifique, je suis chercheur junior associé au WATHI (West Africa Think Tank). Cette année, je suis lauréat du Programme « Jeunes Leaders du Bénin » de la fondation Friedrich Ebert Stiftung. J’ai également eu l’honneur d’être identifiée par la Rapporteuse Spéciale des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains, parmi 30 jeunes de tous les continents, ayant un engagement significatif en faveur des droits humains.

C’est alors confirmé même à l’international,  vus êtes l’un des plus actifs jeunes défenseurs des Droits humains au Bénin. Comment vous-y-êtes arrivé ? 

Je crois en la dignité inhérente aux êtres humains que nous sommes. Je crois que pour vivre en paix et épanouis, les femmes et les hommes ont besoin de jouir de la liberté, de l’égalité. Je crois aussi que la justice, dans sa garantie et sa protection, constitue l’un des principes les plus importants dans la charpente des sociétés démocratiques. Puis il y avait une conscience à double détente. Une conscience ancrée de l’importance de ces droits. Et une conscience que ceux-ci, pour plusieurs raisons, ne sont pas toujours respectés, faisant donc l’objet d’une quête permanente.

À partir de ce moment, m’inspirant des efforts des « ainés », qui se battent de différentes manières pour faire respecter les droits humains, j’ai ressenti le besoin de faire quelque chose pour contribuer à ce changement. Alors, j’ai commencé par rejoindre des groupes, des associations et des organisations locales dédiées aux droits humains, où j’ai pu apprendre davantage sur les enjeux et les moyens d’action.

Au fil du temps, mon engagement s’est renforcé et ne cesse d’accroître. De l’éducation aux droits humains au contentieux stratégique, en passant par le plaidoyer, la mobilisation, la dénonciation et mes interventions médiatiques, j’éprouve une satisfaction particulière lorsque je prends action en faveur de ces prérogatives dont nous devons toutes et tous jouir du simple fait que nous sommes des êtres humains. Je reste déterminé et motivé à poursuivre cette mission et à travailler avec d’autres personnes et organisations partageant les mêmes valeurs pour faire avancer cette cause, souvent bafouée, mais vitale.

Quelles appréciations avez-vous de l’impact de vos actions en faveur des droits humains ? Êtes-vous satisfait.

Je voudrais d’abord dire que l’objectif principal de mon engagement, c’est de mettre en lumière les problèmes de notre société et de contribuer aux solutions, de laisser une empreinte dans l’histoire démocratique de notre pays et surtout d’inciter au changement positif. Ensuite, je voudrais aussi dire que l’impact des actions en faveur des droits humains se mesure efficacement dans le temps. Si les petits changements, les moindres victoires d’aujourd’hui peuvent contribuer à un impact significatif sur la durée, ils peuvent également, en fonction de l’environnement et des calculs politiques en présence, être remis en cause demain.  C’est donc une quête perpétuelle et on doit, chaque jour, travailler un peu plus pour maintenir, renforcer et sécuriser les acquis d’hier.

Sur la question de la satisfaction, je crois que la véritable satisfaction découle de la conscience que nous avons agi pour le bien de tous, que nous avons été la voix des sans-voix, et que nous avons lutté pour un monde où la dignité humaine est reconnue et respectée, où les femmes sont égales aux hommes et où chacun est libre et vit dans un environnement où la justice est garantie.  Peu importe si nos revendications, nos plaidoyers, ou nos actions sont pris en compte par les gouvernants d’aujourd’hui. Pour le reste, je suis content de contribuer à quelque chose de noble dans ce pays qui est mien et qui ne sera développé que par les efforts de ses propres filles et fils.

Il n’est pas facile de défendre les droits humains car il faut dénoncer des abus, des violations etc. Comment arrivez-vous à rester audacieux pour continuer à jouer un si complexe rôle ?

Il n’est pas faux que le contexte actuel est difficile.  Il est autant vrai que des contextes plus difficiles existent. Mais, quel que soit le contexte, nous devons trouver les moyens de nous faire entendre. Et comme le dit Ronald Reagan, ancien Président des États-Unis, ‘’la liberté est fragile et, si nous ne nous battons pas pour elle, nous la perdrons’’.  La clé réside dans la conscience que le respect des droits humains est essentiel pour construire une société plus juste et équitable. L’audace me permet de prendre des initiatives, individuellement ou collectivement, notamment avec le Quintet. La résilience contribue à sauvegarder la constance des actions, pour amener l’État à prendre davantage de mesures en vue de la protection des droits humains.

Le soutien de la communauté des défenseurs des droits humains est aussi un facteur essentiel qui me permet de continuer malgré les obstacles et les risques. Pour tout dire, la persévérance et la conviction que chaque action compte dans la lutte pour un monde meilleur me poussent à rester audacieux dans ce rôle, oh combien difficile, mais tellement nécessaire.

Quels sont actuellement selon vous les défis majeurs du Bénin en matière des Droits de l’Homme ?

Je crois que nous avons une diversité de défis en ce qui concerne les droits humains, et il serait prétentieux d’en identifier qui soient plus importants que les autres. Au fond, les droits dont nous parlons sont interdépendants et l’absence d’action pour réaliser l’un contamine la satisfaction des autres.  Mais avec le Centre de Formation en Mécanismes de Protection des Droits humains (CFMPDH), lors du dernier examen du Bénin devant le conseil des droits de l’homme, à l’occasion de l’examen périodique universel, nous avons relevé trois défis que nous avons documentés et sur lesquelles nous avons formulé des recommandations défendues  à Genève.  Ces défis concernent le droit à la vie, le droit à la liberté d’expression et le droit à un recours effectif devant les juridictions. Relativement au droit à la vie, au regard de nos observations, nous avons recommandé de  l’impunité en assurant des enquêtes rapides, approfondies et transparentes sur toutes les violations du droit à la vie, y compris celles perpétrées par des agents publics, de combattre les exécutions extrajudiciaires, la vindicte populaire en ouvrant des enquêtes effectives en vue d’identifier et sanctionner les auteurs de tels agissements à la hauteur de leurs excès et d’assurer l’organisation d’élections inclusives, libres et transparentes, gage de l’élimination des violences électorales conduisant à la violation du droit à la vie.

Au sujet de la liberté d’expression, il y a trois recommandations phares. Faire une relecture de la loi n°-2017-20 du 20 avril 2018 portant Code du numérique en République du Bénin et l’adapter aux standards internationaux et régionaux en matière de garantie de la liberté d’expression et de presse.  Ensuite, réformer la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) et assurer conformément aux mesures clés du projet de société du Président Patrice TALON, la représentativité des journalistes et la dépolitisation de l’institution. Et prendre toute mesure visant la dépénalisation des délits de presse ramenés dans le code du numérique sous la forme des infractions de droit commun.

« Il faut adopter et assurer l’exécution d’une loi spécifique reconnaissant et protégeant les défenseurs des droits humains, conformément à la Déclaration des Nations Unies de 1998 sur les DDH. »

Sur le droit d’accès à un recours effectif devant les juridictions, nous avons analysé qu’il faut opérer une réforme du Conseil Supérieur de la magistrature et assurer une plus grande représentativité des magistrats dans cet organe technique, tout en retirant le Président de la République et ses ministres. Nous avons aussi recommandé à l’État de redéposer sa déclaration attributive de compétence permettant la saisine de la cour africaine des droits de l’homme et des peuples par les individus et les ONGs jouissant du statut d’observateur devant la Commission des droits de l’homme et des peuples et d’assurer par tout moyen, l’indépendance de la justice tout en  mettre fin à l’instrumentalisation des moyens républicains au service de la répression des opinions dissidentes. Nous n’avons pas manqué de recommandé la création de nouveaux tribunaux, et surtout de nouveaux Barreaux (pour les avocats) afin d’assurer la proximité et la célérité de la justice à tous les citoyens, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Voilà trois questions qui me tiennent véritablement à cœur et qui ont d’ailleurs été reprises sans faute dans la compilation effectuée par le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au titre des contributions de la société civile.

Par ailleurs, la protection des défenseurs des droits humains est un sujet préoccupant. Et le gouvernement, et le parlement devraient prendre en compte les recommandations du plaidoyer du Quintet a ce sujet.  Il faut adopter et assurer l’exécution d’une loi spécifique reconnaissant et protégeant les défenseurs des droits humains, conformément à la Déclaration des Nations Unies de 1998 sur les DDH. Mais il y a aussi un dernier point, qui est en réalité le premier. La sécurité. Sans sécurité, il n’y a point de liberté. Notre pays fait face à la menace terroriste. Le gouvernement devrait privilégier les mécanismes de la coproduction de la sécurité et lutter contre ce phénomène avec une approche holistique, basée sur les droits humains. Cela implique que des études sérieuses sont menées pour identifier les causes et les ressorts endogènes du phénomène. Que tous les acteurs, y compris les citoyens sont associés à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie et que l’opinion nationale est informée régulièrement sur la situation et le mesures prises.

Quel appel avez-vous à lancer pour que les droits humains soient davantage respectés au Bénin ?

D’abord, l’État doit continuer à jouer son rôle, et ceux qui incarnent le pouvoir d’État aujourd’hui doivent être conscients d’une chose : en tant que dirigeants, nous n’agissons pas pour nous-mêmes. Nous agissons pour les autres, pour la Nation. Servir au lieu de « se servir ». Prendre des mesures concrètes, qui ne laissent personne de côté et s’engager à respecter les règles qui fondent notre République et qui sont marquées dans la Constitution, notre loi fondamentale. Mais, comme vous le savez, nos dirigeants sont bien conscients de ces impératifs et bien souvent, ce sont eux-mêmes qui choisissent en fonction des « enjeux » du moment, de faire ce qu’ils veulent, parfois en violation des droits humains.
Et à ces moments, les autres structures doivent faire la veille. Je crois en la force du juge constitutionnel à jouer le rôle de protecteur des droits fondamentaux et de régulateur du fonctionnement des institutions. Je crois qu’il ne devrait pas hésiter à faire des injonctions, pour lubrifier le fonctionnement des institutions.

Le Parlement doit rester un espace de liberté d’expression, de diversité, et de responsabilité vis-à-vis du peuple, détenteur de toute souveraineté. Et notre parlement doit éviter l’inflation législative car ce phénomène est porteur d’insécurité juridique pour les citoyens. Et nous, citoyens nous devons rester éveillé et vigilant car, Thomas Jefferson le disait, ‘’le prix de la liberté, c’est la vigilance éternelle. Soyons donc éternellement vigilants’’.

Avez-vous un conseil à l’endroit des jeunes qui veulent s’illustrer comme vous dans la défense des droits humains ?

Je ne suis pas celui qui donne des conseils. Mais je crois que nous avons la responsabilité de créer la société dans laquelle nous voulons vivre et modeler celle que nous voulons léguer aux futures générations.  Chacun devrait se convaincre de ce qu’il n’y a aucun bien que l’on puisse vouloir pour l’Homme en dehors du respect de ses droits. Le bonheur dont chacun rêve réside dans la pleine réalisation de nos droits. Avoir un emploi, pouvoir se soigner, vivre en toute dignité avec sa famille, avoir des enfants, les éduquer et les voir grandir dans de bonnes conditions et participer à la vie de son pays, ces choses n’arrivent que par le fait que nous vivons dans un pays où nos droits sont respectés. Si nous aspirons à ce minimum, nous devons nous lever et nous battre et défendre nos droits.

Quelles sont les valeurs qui vous motivent à servir votre association et la communauté?

Les valeurs qui sous-tendent mon engagement en tant que défenseur des droits humains sont enracinées dans ma conviction que chaque individu mérite d’être traité avec dignité et respect.  Dans le mouvement militant à Amnesty international, nous avons un slogan qui illustre bien le devoir de solidarité que nous avons envers l’autre « nous » : Faire de l’injustice faite à autrui, une affaire personnelle.

Quel est votre mot de la fin pour conclure cet entretien ?

Je voudrais vous remercier pour cette opportunité de m’exprimer. Ensuite, je voudrais vous encourager à continuer à soutenir la cause des droits humains, malgré l’hostilité parfois du contexte. Enfin, je nous souhaite de vivre en liberté.

Aboudou Agro